Régulièrement les différents gouvernements annoncent à grand renfort de communication vouloir lutter contre la fraude aux prestations sociales en stigmatisant tout particulièrement les assuré·es sociaux. Cependant la fraude aux prestations sociales ne concerne pas seulement les particuliers mais également et surtout les établissements et les professionnels de santé. A cela il faut ajouter la fraude aux cotisations de la part des entreprises qui est sans aucun doute la part la plus importante des préjudices financiers que subit la Sécurité sociale.
Aussi il est important de remettre les choses à l’endroit et d’agir pour que les pouvoirs publics poursuivent les véritables fraudeurs et les sanctionnent et surtout qu’ils cessent de stigmatiser certaines populations pour mieux exonérer les principaux responsables.
Car la fraude sociale, qu’elle concerne les recettes ou les dépenses, porte atteinte au principe de solidarité qui fonde la Sécurité sociale. Lutter contre celle-ci est un impératif d’efficacité économique et surtout de justice sociale. Ainsi l’association « la Quadrature du Net » a dû batailler pendant de longs mois, et avec recours à la CADA, afin que la CAF lui livre le code source son algorithme de contrôle des allocataires. Il a ainsi été révélé en 2023 que celui-ci visait certains types d’allocataires de façon discriminatoire (revenus faibles, quartiers défavorisés, précaires…).
Travail dissimulé : un manque à gagner de 9 milliards d’euros
C’est le résultat des travaux du Haut Conseil du Financement de la Protection Sociale (HCFiPS) pour l’année 2022. Depuis 2017 le HCFiPS assure une fonction d’observatoire du travail dissimulé. Pendant très longtemps la mesure des conséquences financières du travail dissimulé fut très approximative. En 2014 la Cour des Comptes estimait que les enjeux de la lutte contre les fraudes aux cotisations sociales étaient sous-estimée et en 2019 que cette politique devait être relancée. A noter qu’en mai 2023, G.ATTAL, en tant que ministre des comptes publics a fixé l’objectif de récupérer 5 Mds d’€ de cotisations et contributions sociales sur 5 ans (2022-2027).
Le travail dissimulé est un sujet de première importance au regard de ses impacts sur les finances sociales et plus généralement sur les finances publiques.
Les données 2022 de l’observatoire concernent à la fois l’impact sur les cotisations sociales du travail dissimulé et des omissions et erreurs déclaratives dans le secteur privé et portent sur le champ du régime général, de l’UNEDIC et des retraites complémentaires Agirc-Arrco.
Le manque à gagner en matière de cotisations pour 2022 est comparable à celui des années précédentes en ce qui concerne la lutte contre le travail illégal (de 1,7% à 2,1% de l’assiette cotisable) et omissions d’assiette (taux de redressement potentiel compris entre 0,5% et 0,6%).
Les secteurs où les taux sont les plus élevés sont ceux de la construction et de l’hôtellerie-restauration tandis que ceux de l’industrie et des autres services sont les plus faibles. L’Île-de-France et la région Sud (Languedoc-Roussillon, PACA, Corse) ont des taux de fraude supérieurs à la moyenne nationale.
Le rapport du HCFPiS fait un focus sur 2 secteurs où la fraude est élevée :
- le secteur agricole : la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA) livre pour la première fois une évaluation sur l’ensemble du périmètre et estime :
- le taux de fraude (travail dissimulé) à 2,9% des cotisations et contributions totales, ce qui représente 345,7 millions d’euros,
- le manque à gagner sur les omissions d’assiette à environ 1,5%, soit 200 millions d’euros ;
- les micro-entrepreneurs intervenant sur des plateformes
Leurs taux de dissimulation s’avèrent « extrêmement élevés« . Les montants de chiffre d’affaires non ou sous-déclarés s’élèvent à 927 millions d’euros pour 2022, soit une part de cotisations en moins de 42% (équivalant à 174 millions d’euros de cotisations). Cette part bondit à 62% pour les conducteurs de VTC (voiture de transport avec chauffeur) et 70% pour les livreurs.
La fraude aux dépenses sociales
C’est ce type de fraude qui est le plus mis en avant pour culpabiliser une partie de la population qui vivrait aux crochets de l’autre. Ainsi, quand en 2019 le 1er ministre Edouard Philippe missionne 2 parlementaires (la sénatrice centriste N GOULET et la députée LREM Carole Grandjean), c’est pour cibler le coût pour les finances de la fraude aux prestations en ignorant la fraude aux cotisations qui concerne très largement les entreprises. Pourtant la perte pour les finances publiques est bien supérieure dans ce deuxième cas.
Dans son rapport de 2020 la Cour des comptes soulignait « L’absence d’estimation du montant de la fraude pour la plupart des prestations prive l’action des pouvoirs publics et des organismes sociaux d’un indispensable instrument d’orientation des actions à mener pour mieux la prévenir, la détecter et la sanctionner ». Elle ajoutait que les fraudes détectées se concentrent, en montant, sur certains types de prestations, d’auteurs ou de situations :
– pour la branche famille, ce sont principalement le RSA, la prime d’activité et les aides au logement qui font l’objet de fraudes. Dans le même temps il ne faut pas perdre de vue le non recours à certains minimas sociaux comme le RSA dont le taux est estimé à 30 % !
– pour l’assurance maladie, ce sont les professionnels et les établissements de santé qui concentrent une part prépondérante des montants des préjudices subis et évités, soit près de 80 % du total en 2019. Ceux-ci concernent des facturations d’actes médicaux et paramédicaux, de séjours en établissement de santé, de prestations et de biens de santé fictifs, ainsi que des surfacturations.
Le HCFIPS vient de rendre enseptembre 2024 un nouveau rapport sur la fraude sociale qui n’inverse pas les données de 2022.Parmi les éléments marquants, la fraude sociale est évaluée pour 2023 à 13 milliards d’euros. Plus de la moitié (soit 56%) provient du travail dissimulé, soit 7,2 milliards et concerne donc les entreprises et travailleurs indépendants. 1,3 provient des professionnels de santé (10%) et le reste soit le tiers, des assuré-es sociaux eux-mêmes. Le rapport souligne que la part des assurés et notamment des titulaires de minimas sociaux est faible dans l’ensemble et que la fraude au RSA sur laquelle se focalise souvent l’attention représente 1,5 milliard sur l’ensemble de la fraude évaluée. Quant aux fraudes aux prestations de retraite d’assurance chômage, elles sont anecdotiques.Sur ce montant total, 2,1 milliards d’euros fraudés ont été détectés, 0,6 milliard ont été recouvrés. Et si le recouvrement par la branche famille, celle en charge du RSA, est relativement efficace (près de 300 millions d’euros alors que le volume fraudé en terme de travail illégal est cinq fois supérieur), c’est nettement moins le cas de la branche URSSAF s’agissant du travail illégal (moins de 100 millions).
Mais où en est la lutte contre la fraude sociale ?
Entre l’évaluation de la fraude qui n’est pas toujours faite, sa détection et y mettre un terme il existe un fossé que les pouvoirs publics vont devoir combler. En 2023 les redressements de cotisations sociales ont progressé de 50 % (1,2 milliard contre 800 millions en 2022). Toutefois on ne connaît pas le montant recouvré. Lutter véritablement contre les fraudes sociales est dans les mains des pouvoirs publics et ils seront jugés sur pièces. En effet le 30 mai 2023 le gouvernement a annoncé un plan de lutte contre les fraudes dont la fraude sociale qui est multiforme. Ce plan prévoit le recrutement de 1 000 agent·es à temps complet d’ici 2027 et des objectifs chiffrés en montant pour chaque type de fraude. On verra dans les années qui viennent si ces engagements sont tenus. Les enjeux financiers sont importants 13 milliards d’euros c’est à quelque chose près le montant du déficit de la branche maladie pour 2024 (14 milliards d’euros).
En conclusion la fraude sociale est plus le fait des entreprises que des particuliers contrairement aux discours véhiculés et répétés dans les médias où l’on pointe prioritairement les personnes à faibles revenus, les étrangers et/ou les sans-papiers. Les enjeux en termes financiers se situent plutôt du côté des entreprises et des professionnels de santé que du côté des assuré·es sociaux.
Il est essentiel de rappeler ces vérités, d’arrêter de viser certaines populations et enfin d’agir réellement pour réduire la fraude. C’est une nécessité financière et démocratique.