Mesdames et monsieur les ministres,
Le 17 juin 2025, un élève de seconde générale, scolarisé au lycée polyvalent Curie-Corot de Saint-Lô, trouvait la mort sur le lieu où il exerçait son stage d’observation de fin d’année en milieu professionnel.
Cet accident tragique n’est pas isolé : le 30 avril, un élève apprenti maçon âgé de 15 ans perdait la vie sur un chantier à Saint-Martin du Var ; le 16 mai, c’est un lycéen préparant un bac professionnel qui trouvait la mort en Saône-et-Loire dans l’entreprise où il était en stage.
Vendredi 27 juin, une jeune femme de 19 ans, suivant une formation dans un lycée agricole de Corrèze, a elle aussi perdu la vie dans la ferme où elle était en stage.
Vendredi 4 juillet, dans le Maine-et-Loire, un jeune homme de 16 ans décédait, lui aussi durant son stage dans une exploitation agricole.
Établie sur quelques semaines, cette liste macabre signale un problème d’ampleur et montre la récurrence scandaleuse d’accidents mortels coûtant la vie à des jeunes en formation, en apprentissage ou stage d’observation. Cette succession ne relève pas d’une coïncidence : c’est le résultat de choix politiques qui promeuvent un rapprochement toujours plus grand entre l’école et l’entreprise, une confrontation des jeunes au monde du travail toujours plus précoce et plus longue.
Pourtant, la mainmise des entreprises sur la formation présente de nombreux risques contre lesquels nos organisations syndicales alertent depuis longtemps. La jeunesse, considérée comme chair à patron, est sacrifiée.
Les chiffres officiels sont sans appel. En effet, le taux d’accident du fait du travail est bien plus élevé chez les jeunes : d’après l’INRS, les 15-24 ans connaissent en moyenne 2,5 fois plus d’accidents de travail que l’ensemble des salarié·es.
Avec l’augmentation des stages et des périodes de formation en milieu professionnel, les réformes successives de l’Éducation nationale poussent de plus en plus de jeunes, de plus en plus tôt et sur des périodes de plus en plus longues, dans les entreprises : « initiation à l’orientation » dès la classe de 5e, stage obligatoire de 15 jours en milieu professionnel pour les élèves de seconde générale et technologique, travail des élèves de lycée professionnel dès la seconde sur le choix à faire en terminale pour la poursuite d’études ou l’insertion sur le marché du travail. La libéralisation de l’apprentissage en 2020 a permis l’explosion du nombre d’apprenti·es (passé de 300 000 à plus de 800 000 nouveaux contrats par an entre 2018 et 2022) et la création de formations tous azimuts, mal (ou pas) encadrées, sans compter le nombre de formations fantômes délivrées par des organismes virtuels.
Par contre, les jeunes sont bien présent·es dans les entreprises et y travaillent, souvent comme n’importe quel·le salarié·e. Cette professionnalisation des parcours scolaires sert les intérêts du patronat, à qui elle fournit une main d’œuvre exploitable et bon marché, voire gratuite et à la charge de l’État. Les jeunes, quant à elles et eux, sont attiré·es vers le monde de l’entreprise à coups de gratifications dérisoires. Cette introduction des jeunes dans les lieux de travail s’opère sans que soient prises les mesures nécessaires pour assurer leur santé et leur sécurité, pour prévenir les risques auxquels ces jeunes sont exposé·es.
Cette situation, compte tenu des conséquences tragiques qu’elle a trop souvent, impose des mesures urgentes pour protéger les élèves et les jeunes en formation. En raison des risques encourus, les stages en milieu professionnel et les périodes en entreprises des élèves doivent être limités et strictement encadrés.
À ce titre, nos organisations demandent :
- une révision du Code de travail pour intégrer précisément les droits des élèves stagiaires et des jeunes en formation, garantir l’exercice de ces droits, prévenir les nombreux risques professionnels auxquels ces jeunes sont confronté·es comme l’ensemble des travailleurs·euses ;
- le rétablissement de l’autorisation préalable délivrée par l’inspection du travail pour l’emploi de jeunes mineurs à des travaux dangereux, supprimée en 2015 ;
- l’élargissement de la procédure de retrait des jeunes travailleur·euses, des apprenti·es et des stagiaires en cas de situation dangereuse constatée par l’inspection du travail ;
- le rétablissement d’un véritable contrôle par l’Etat des organismes de formation qui proposent et organisent les formations en alternance,
- un renforcement des services de l’inspection du travail pour pouvoir exercer les contrôles qui s’imposent afin de s’assurer que toutes les mesures sont prises par les employeurs pour encadrer les stagiaires et les apprenti·es, les accompagner sans les mettre en danger, respecter les conditions dans lesquelles les stages doivent s’effectuer ;
- du temps libéré de cours et rémunéré pour les enseignant·es afin de pouvoir vérifier la qualité de l’accueil des élèves au sein des entreprises, d’assurer un suivi, d’aller rencontrer les employeurs ;
- un accès gratuit et garanti aux équipements de protection individuelle pour tou·te·s les élèves, et ce dès le début de la scolarité en lycée professionnel ou en CFA, avant tout stage, y compris de simple observation, en milieu professionnel ;
- davantage de formations aux premiers secours à destination des élèves et des personnels de l’éducation nationale, et des mises à niveau régulières ;
- un renforcement des formations sur le droit du travail à destination des élèves et des jeunes en formation, notamment en termes de culture des risques professionnels, préalablement à toute présence dans le monde du travail. Ces formations doivent impérativement intégrer un module complet sur la prévention des violences sexuelles et sexistes au travail ;
- la suppression du parcours en Y pour les élèves de lycée professionnel, les conditions imposées sur les stages des 6 dernières semaines ne permettant pas un suivi de qualité ;
- la suppression du stage d’observation en milieu professionnel mis en place pour les élèves de seconde générale et technologique. Ce dispositif avait été largement rejeté en conseil supérieur de l’éducation, il creuse les inégalités socio-économiques que subissent les élèves et s’oppose aux principes d’émancipation qui doivent guider les politiques éducatives.
Veuillez agréer mesdames et monsieur les ministres, l’expression de notre parfaite considération.