Tribune unitaire publiée par Libération en soutien au recours contre le décret établissant les sanctions contre les personnes privées d’emploi et allocataires du RSA qui ne respecteraient pas le contrat d’engagement établi avec France Travail
Seize associations et syndicats s’unissent pour demander, au Conseil d’Etat, l’abrogation du décret du 30 mai 2025 sur les sanctions infligées aux personnes privées d’emploi. Un front commun rare s’est constitué autour d’un constat partagé. Le décret marque une rupture dans les politiques sociales, une attaque supplémentaire contre la protection sociale et dans la manière dont l’État aborde la question de l’emploi digne et la lutte contre la pauvreté.
Comment imaginer décider de laisser une famille sans revenu du jour au lendemain ? Les sanctions ne sont pas seulement brutales, elles sont contraires à l’effectivité des droits fondamentaux. Elles méconnaissent le principe constitutionnel du droit à des moyens convenables d’existence, consacré par le préambule de 1946. Elles ouvrent la voie à des “contrats d’engagement” que l’allocataire ne peut refuser sans perdre son revenu, des contrats frappés donc de nullité.
Toute personne inscrite, automatiquement ou pas, à France Travail peut voir son assurance chômage ou son RSA suspendus de 30 à 100 % ou supprimé dès le premier “manquement” : un rendez-vous manqué, une obligation mal comprise, un contrat d’engagement non signé dans les temps. Dix jours seulement sont accordés pour contester ; un délai dérisoire quand une suspension peut signifier l’impossibilité de payer son loyer ou de faire ses courses pendant des mois.
Elisa*, allocataire du RSA témoigne : “Je n’ai pas de domicile fixe, je suis hébergée à droite, à gauche… Depuis janvier 2025, mon RSA a été supprimé deux fois de suite. Je n’étais pas au courant des obligations vis-à-vis de France travail. La deuxième fois, je n’avais plus de téléphone portable, alors je n’ai pas pu faire ma déclaration trimestrielle du RSA. J’ai essayé de me justifier, mais ils ont dit que c’était définitif.
Je cherche du travail depuis longtemps, dans l’aide à la personne, mais comme je n’ai pas la formation, ma candidature n’est jamais retenue. Et comme je suis sans domicile, je n’ai pas de référent RSA pour m’accompagner. J’ai demandé à France Travail un référent et une formation pour devenir aide-soignante, mais je n’ai toujours pas de réponse. »
Parce que suspectées de ne pas être assez mobilisées, la loi dite “plein emploi” impose aux personnes quinze heures minimum d’activités hebdomadaires non rémunérées et le décret les expose au risque de perdre tout revenu en cas de non-respect des obligations du contrat. Une contrainte qui s’apparente à du travail forcé, pourtant prohibé par la Convention européenne des droits de l’homme et les conventions de l’OIT. En théorie, ces heures doivent aider à l’insertion professionnelle. En réalité, elles ajoutent de la contrainte aux précarités et ne semblent pas tenir compte des situations spécifiques (mères isolées, personnes en situation de handicap, aidants familiaux, agriculteurs). Les travailleurs sociaux et les agents de France Travail le disent eux-mêmes : ils passent plus de temps à contrôler qu’à soutenir. Ils sont en perte de sens et leurs conditions de travail se détériorent.
S’y ajoute une opacité totale. Pourquoi 30 %, 50 %, ou 100 % de réduction du RSA ou de l’assurance chômage ? Rien ne le justifie. D’un territoire à l’autre, les pratiques varient. Certains départements appliquent ces sanctions avec retenue, d’autres avec zèle. L’inégalité de traitement est flagrante. Les voies de recours proposées sont inadaptées aux situations et ne sont pas suspensives de la sanction.
Nous ne nous résoudrons jamais à ce que les « devoirs » prennent le pas sur la solidarité et l’effectivité des droits. Ni à ce que viser le plein emploi consiste à intensifier la fabrique de travailleurs pauvres. Si l’on prétend réellement soutenir les privés d’emploi, il faut permettre aux 30 à 40% des personnes exclues de notre système de solidarité – ce qu’on appelle pudiquement le non-recours – puissent effectivement accéder à leurs droits. Il faut cesser de stigmatiser et de tenir les personnes pour responsables de leur situation et rappeler les pouvoirs publics à leurs obligations.
Tribune Libération
Face à cela, nous avons pris la décision d’attaquer collectivement l’Etat pour obtenir l’abrogation de ce décret.
Signataires :
- Andrée BESSON, présidente de Solidarité Paysans ;
- Sophie BINET, Secrétaire générale de la CGT .
- Caroline CHEVÉ, Secrétaire générale de FSU ;
- Marion DUCASSE, coordinatrice Aequitaz ;
- Didier DURIEZ, président du Secours catholique ;
- Laurent ESCURE, Secrétaire Général de l’Unsa ;
- Murielle GUILBERT et Julie FERRUA, co-délégué-es générales de l’Union syndicale Solidaires ;
- Marylise LEON, Secrétaire général de la CFDT ;
- Pierre-Edouard MAGNAN, président du Mouvement National des Chômeurs et Précaires (MNCP) ;
- Didier MINOT, président du collectif Changer de cap ;
- Bruno MOREL, président Emmaüs France ;
- Olivier MORZELLE, président d’ATD Quart Monde France ;
- Laurent PINET, président Coorrace ;
- Nathalie TEHIO, présidente de la Ligue des droits de l’homme