Face à l’inaction de l’État, la Cour de Cassation prend ses responsabilités !

Note de la commission juridique sur l’acquisition de congés payés par les salarié-es pendant leur arrêt maladie

La directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relative à l’aménagement du temps de travail a établi que quand bien même les salarié-es seraient en arrêt de travail, ils et elles acquièrent leurs droits à congés annuels sans préjudice du fait qu’ils et elles n’ont pas travaillé pendant la période de référence. Ainsi contrairement au droit français, la directive n’opère aucune distinction entre les travailleurs absents de leur travail du fait d’un arrêt maladie et ceux travaillant normalement. Curieusement les pouvoirs publics n’ont jamais traduit cette directive en droit français, cette disposition favorable aux travailleurs et travailleuses de ce pays n’a donc jamais intégré le code du travail qui reste lui encore à cette heure campé sur l’obligation d’un temps effectivement travaillé pour pouvoir acquérir des congés payés. Pour être tout à fait exact le code du travail dispose déjà qu’en cas d’arrêt de travail pour raison professionnelle (accident de travail et/ou maladie professionnelle), les congés annuels sont normalement acquis mais sur une durée maximale d’arrêt d’un an, limite temporelle que ne prévoit évidemment pas la directive européenne. Pour un « simple » arrêt de travail pour maladie non imputable à une cause professionnelle, aucune acquisition de congés pendant cette période n’est en revanche prévue par le Code du travail.

Face à cette inaction de l’État français, des poursuites ont été engagées par Solidaires avec la CGT et FO et l’État a finalement été condamné l’été dernier après plusieurs années de bataille par la Cour d’Appel de Versailles. Pour autant ce dernier n’a toujours pas exprimé l’intention de mettre de droit du travail en conformité avec la directive européenne (et préfère payer l’amende qui lui a été infligée)…

Face à cette situation de discrimination des salarié-es sur le territoire français et après avoir souligné à de nombreuses reprises par ses rapports annuels successifs la nécessité d’une réforme législative sur ce point, la Cour de Cassation a réagi en reconnaissant la primauté du droit européen sur le droit national. Confirmant ainsi une décision de 2012 de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) et consacrant la force juridique contraignante de la Charte européenne des droits sociaux, elle a au travers d’une série d’arrêts en date du 13 septembre 2023 fait droit aux prétentions de deux salariés en arrêt de travail. Il s’agissait dans les deux cas de salariés à qui leur employeur refusait l’acquistion de congés payés au titre de leur arrêt maladie.

Plus précisément 3 arrêts ont été rendus :

  • Dans un premier arrêt (pourvoi n°22-17.638), la Cour a décidé de faire droit à un salarié arrêté du fait d’un accident de travail en lui permettant d’acquérir ses congés payés au-delà de l’année prévue par l’article L. 3141-5 du code du travail. Elle a ainsi écarté l’application de la limite temporelle fixée par l’article du code du travail précité afin de faire bénéficier des dispositions de l’article 31 alinéa 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne qui dispose que « tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés. ».
  • Dans un second arrêt du même jour (pourvoi n°22-17.340), s’agissant cette fois d’un salarié en arrêt maladie « ordinaire », elle a décidé que ce salarié ne saurait être privé de ses droits à acquisition de congés et que pour cela elle écartait l’application des dispositions de l’article L. 3141-3 en ce qu’il subordonne l’exécution d’un travail effectif l’acquisition de droits à congé payé.
  • Par ailleurs dans une autre affaire délibérée le même jour (pourvoi n°22-10.529), la Cour a décidé dans un troisième arrêt que la prescription du droit à congés qui est de 3 ans ne court qu’une fois que l’employeur a mis en état le ou la salarié-e d’exercer ce droit (et qu’il doit donc justifier en cas de contestation). Elle s’est mise là aussi en conformité avec le droit européen et écarté le droit français lequel prévoit que ce délai court à compter de l’expiration de la période légale (ou conventionnelle) au cours de laquelle les congés auraient pu être pris.

Ces jurisprudences sont fondamentales même si elles se rapportent à des décisions individuelles. Déjà la Cour d’Appel de Paris a fait application de cette jurisprudence par deux décisions du 27 septembre et 12 octobre derniers permettant à deux salariés ayant été en arrêt maladie de pouvoir bénéficier de congés payés au titre de ces périodes de suspension du contrat de travail. Elles les a fait bénéficié tous deux de plusieurs milliers d’euros d’indemnités compensatrices de congés payés.

Elles doivent être exploitées à ce titre par les équipes confrontées à cette problématique au besoin en infomant et engageant des actions collectives vu le nombre de salarié-es potentiellement concerné-es. SUD PTT a confectionné un modèle en annexe qui peut être décliné dans les autres secteurs.

Par ailleurs même si ce sont des employeurs du secteur privé qui sont en l’occurence visés, la directive ne fait pas de distinction particulière entre public et privé. Dès lors, il faudra que les employeurs publics les mettent en place et que soient engagées le cas échéant les procédures y compris judiciaires pour les y contraindre.

Il s’agit donc, dans l’attente d’une modification des textes, que la jurisprudence dégagée par la Cour de Cassation soit respectée massivement par les employeurs quel que soit leur secteur.